Sénégal : Loi-sur la-parite au-Senegal une-experience reussie
La lutte pour la conquête des droits et des libertés
Les femmes ont de tout temps été au cœur de la politique dans l’espace social sénégalais et le fil de la résistance nationale a été tenu d’un bout à l’autre par des femmes. C’est la reine du Waalo [1] qui a ouvert la confrontation avec le Français Faidherbe et qui a été la première force de résistance que le colonisateur eut à affronter en 1855, avec à sa tête une femme, la reine Ndaté Yalla Mbodj. C’est Aline Sitoë Diatta, prêtresse de Casamance, qui l’a clôturée au Sud, pour avoir été la dernière résistante nationale déportée en 1943 à Tombouctou, au Mali, par le pouvoir colonial.
Après avoir conquis le Sénégal, le colonisateur prit un ensemble de mesures politiques consacrant le recul de la femme. En stipulant qu’elle devait se soumettre à l’ordre colonial et à son mari, il lui enlevait tout droit de représentation mais aussi l’accès à la propriété. En 1904, la loi foncière sur les territoires sous occupation française ne reconnaît comme légale que la propriété privée, personnalisée et dûment enregistrée. Et s’appuyant sur le code napoléon [2], toute propriété fut quasi-automatiquement attribuée au chef de famille qui est « naturellement » le mari. La politique coloniale ouvertement sexiste a limité l’accès des femmes à l’éducation et à la formation. En 1906, il y avait 29 écoles dispensant un enseignement aux garçons et qui comptaient 3 252 élèves, contre quatre écoles pour les filles (40 élèves). Au niveau de la formation professionnelle, l’École Normale William Ponty, pépinière des futurs cadres et chefs d’État africains, fut ouverte en 1910, et c’est seulement en 1939 que fut fondée une section féminine, soit 29 ans plus tard (MFEF, 1993 : 145).
Même privées de tous leurs droits, les Sénégalaises ont continué à se battre contre l’autorité coloniale. Elles se sont révoltées contre la France qui, en 1944, avait accordé le droit de vote aux femmes, mais décidé aux élections législatives de 1945 que seules les Françaises de souche pouvaient y participer, excluant les femmes des quatre communes du Sénégal (Saint-Louis, Dakar, Gorée et Rufisque), qui avaient pourtant le statut de citoyennes françaises.
Les Sénégalaises ont su transcender leurs divergences sociales et politiques et unir leurs forces pour un objectif qui dépasse leurs appartenances de classe, d’ethnie, de caste, etc., et qui renvoie à leur statut de femmes colonisées. Ce fut notamment le cas de deux femmes, Ndaté Yala Fall et Soukeyna Konaré, qui appartenaient à deux partis adverses mais qui décidèrent de joindre leurs efforts pour faire face à l’autorité coloniale. Les Sénégalaises menaçaient de s’en prendre à la vie de toute Française de souche qui irait voter et le gouvernement français finit par reculer [3].
Après s’être mobilisées en 1945 pour arracher le droit de vote, elles se sont impliquées dans la lutte pour les indépendances. Certaines femmes membres du premier parti communiste, le Parti africain pour l’indépendance (PAI), se sont particulièrement illustrées. Leur rôle dans la grève des cheminots de 1947 a été magnifié par l’écrivain et cinéaste Ousmane Sembène dans un roman intitulé Les Bouts de bois de Dieu, paru en 1960. Elles mettent en place, en 1952, l’Union des Femmes Sénégalaises pour continuer le combat politique des hommes traqués par le pouvoir [4]. Mais une fois les indépendances obtenues, celles qui ne sont pas allées à l’école sont écartées par les nouvelles élites.
Le recul des femmes en politique et le repli des femmes dans l’espace associatif
Après les indépendances, exclues de l’espace politique, les femmes se sont repliées dans l’espace associatif. Les premières générations de femmes scolarisées se sont attelées à l’éveil des consciences de leurs sœurs à travers des associations. L’une des premières militantes, la journaliste Annette Mbaye Derneville, verra son organisation, créée en 1959, dissoute par le président du Conseil chef du gouvernement, Mamadou Dia. Elle va poursuivre son combat à travers des mouvements comme les Soroptimist et les Zonta Club. En 1977, elle finira par créer, avec treize organisations, la Fédération des associations féminines du Sénégal (FAFS) pour mener des actions collectives. La FAFS regroupe aujourd’hui plus de 400 associations.
Quant aux luttes pour les droits civiques, elles ont été portées par l’Association des juristes sénégalaises (AJS), créée en 1974, à la veille de la première Conférence mondiale sur les femmes. Cette association s’est attelée à la vulgarisation des droits.
En 1984, une nouvelle prise de conscience politique s’est amorcée avec l’association Yewu Yewi, qui s’insurge, entre autres, contre les modalités de l’héritage musulman et la polygamie. Elle sera directement ou indirectement à la base de multiples associations luttant pour les droits politiques des femmes qui vont éclore dans les années 1990.
La conférence régionale africaine préparatoire de Pékin, tenue à Dakar en 1994, va sonner le réveil du mouvement social féminin au Sénégal, avec des tentatives de jonctions des luttes des femmes. C’est sur ce sillage, que l’Institut africain de développement (IAD) a mis en place le Conseil sénégalais des femmes (COSEF) qui, en 2007, va fédérer autour de lui un vaste mouvement pour la revendication de la parité. Auparavant, en 1999, la Rencontre africaine des droits de l’homme avait entamé le premier acte de sensibilisation sur la parité.
Les années 2000 ont vu la maturation du processus de citoyenneté qui a conduit différents groupes sociaux, notamment les jeunes et les femmes à se mobiliser pour leurs droits. Principales victimes des crises économiques nées des politiques d’ajustements structurels, se sentant menacé.e.s dans leurs conditions d’existence, femmes et jeunes ont mis en place des structures et des mécanismes de construction de liens de solidarité entre leurs membres, et cela au sens de Gaston Lanneau qui dit que : « c’est lorsqu’un groupe social traverse une période de crise, de malaise, d’insatisfaction, lorsqu’il est menacé dans ses conditions d’existence qu’il va affirmer, développer, renforcer sa cohésion, les liens de solidarité, les relations d’interdépendance de ses membres » (1986). Ce contexte de crise a permis aux femmes de bouleverser l’ordre social en obtenant une loi sur la parité.
De la stratégie de revendication des droits à la stratégie de conquête du pouvoir
Le processus de la loi pour la parité, initié en 2010 par le président de la République Abdoulaye Wade, a duré deux ans. Il a été marqué par d’intenses activités du Caucus, une organisation regroupant les Femmes leaders pour le soutien de la loi sur la parité, qui s’est attelée à la sensibilisation et au plaidoyer pour construire le consensus national, avec des activités de renforcement des capacités des candidates aux élections législatives de 2012, et locales en 2014.
Dès sa mise en place, les initiatrices du Caucus des Femmes leaders ont cherché à construire un consensus autour de l’idée du président de la République : d’abord avec les femmes et ensuite avec les acteurs politiques, avant de lancer une campagne nationale de sensibilisation pour toucher toutes les classes sociales du Sénégal.
Le premier acte du Caucus a été la réalisation, le 5 août 2010, d’un atelier national regroupant des femmes leaders des 14 régions du Sénégal pour leur permettre d’avoir une compréhension commune du contenu de la loi et de s’organiser pour en faire sa promotion à la base. L’atelier a permis l’élaboration d’un plan d’action prenant en compte la spécificité socioculturelle de chaque localité ainsi que la formulation d’argumentaires, dans le but d’obtenir l’adhésion des populations. Cet atelier a été une opportunité pour mettre en place les équipes régionales chargées de conduire le processus au niveau local.
Le Caucus a estimé important de rencontrer les leaders de l’opposition pour expliquer le sens de sa démarche et sa détermination à voir aboutir le processus, tout en restant à distance des partis. À tou.te.s, il a été rappelé que le projet de loi sur la parité est le fruit de la lutte de plusieurs générations de femmes, tout en mettant en exergue les qualités ou trajectoires de chacun.e, justifiant l’attente légitime des femmes pour les accompagner.
Le Caucus des Femmes leaders a par la suite réalisé une tournée nationale dans toutes les régions du Sénégal, du 5 août 2010 au 7 mai 2011, afin d’expliquer les enjeux et l’intérêt pour les communautés de soutenir la loi sur la parité.
Lors de ces forums régionaux, des leaders reconnu.e.s à la base ont été choisi.e.s pour porter le message auprès des autorités administratives, des leaders politiques, religieux.ses ou traditionnel.le.s ainsi que des acteur.rice.s culturel.le.s. Ils/Elles regroupaient 300 à 1 000 personnes, chargées de faire la vulgarisation dans leurs quartiers et leurs villages. L’ouverture officielle de chaque atelier a été présidée par les autorités administratives, suivie du panel des experts (juristes, sociologues, islamologues et spécialistes de la religion chrétienne) et des échanges avec l’assistance. Des outils pédagogiques ont été produits et utilisés tout au long du processus dont la signature du « pagne du serment » [5] engageant les femmes à ne plus accepter d’être manipulées par les hommes pour s’invectiver lors des élections. Des chansons et sketchs sur la parité ont été produits pour faciliter la vulgarisation du concept.
La communication a occupé une place centrale dans la stratégie du Caucus, qui a signé un accord avec la Radio Télévision du Sénégal (RTS) pour couvrir toutes ses manifestations, avec une diffusion au journal de 20 heures, suivie d’une page spéciale de 5 à 10 minutes. Les adversaires de la parité n’étaient pas visibles dans l’espace médiatique pour défendre leur point de vue, ce qui a contribué à faciliter l’adhésion massive des femmes et des hommes aux arguments du Caucus.
Le Caucus a cherché à élargir la base sociologique des acteur.trice.s impliqué.e.s dans la lutte pour la parité en touchant des acteur.trice.s religieux.ses, des acteur.trice.s culturel.le.s et des organisations populaires. Pour faire face à l’obscurantisme, le Caucus a collaboré au niveau local avec des religieux favorables à la parité, afin de susciter une meilleure adhésion. Des abbés et des imams ont participé à toutes les activités de sensibilisation en développant un argumentaire religieux en faveur de l’égalité de genre. Le Caucus a également cherché à faire le lien avec les acteur.trice.s culturel.le.s évoluant dans le domaine de la lutte (le sport le plus populaire du Sénégal), de la musique et de la peinture. Il a pu nouer un partenariat avec des artistes peintres de grande renommée pour célébrer, le 14 mai 2012, l’an 2 de la parité par une grande manifestation, avec la projection d’un film documentaire sur le processus et une exposition vente de tableaux de valeur offerts au Caucus par les artistes.
Au terme du processus de mobilisation pour le vote de la loi sur la parité, les mesures juridiques nécessaires ont été adoptées, permettant une application stricte de la loi. Toutefois, l’unanimité n’a pas été obtenue. Le vote de la loi sur la parité a entraîné des réactions parfois violentes de la part d’acteur.trice.s politiques et religieux.ses. Des limites se sont aussi révélées dans sa mise en œuvre. En effet, la loi stipule que toute liste doit comporter de manière alternée un sexe suivi de l’autre, mais à chaque fois que l’on se trouve face à des situations où un seul député est à élire, ce sont des hommes qui se portent candidats. Et parce que dans 11 départements il n’y avait qu’un seul député à élire, le pays s’est retrouvé avec 64 femmes au lieu de 75 sur ses 150 députés.